Article rédigé par : Me Julien Desoer et Me Annie Francescon

 

MISE EN CONTEXTE

Le thème de la vaccination obligatoire contre la COVID-19 en milieu de travail commence progressivement à générer de la jurisprudence.

La sentence arbitrale du 15 novembre 2021 rendue par l’arbitre, Me Denis Nadeau, constitue ainsi la première décision en la matière. Celle-ci s’articule toutefois autour d’un angle bien spécifique. Il s’agit du défaut de respecter une exigence vaccinale provenant de clients, condition dont la violation est susceptible de mener à la résiliation du contrat liant un employeur auxdits clients.

En effet, dans cette décision, des clients de différentes entreprises d’entretien ménager de la région de Montréal ont informé celles-ci qu’elles exigeront, à compter de dates imminentes, une attestation prouvant que les personnes salariées -et syndiquées- qui seront affectées à leurs édifices pour l’entretien ménager sont « adéquatement vaccinées ».

Les employeurs et le syndicat ont soumis, par le biais d’un grief déclaratoire, une série de questions quant à la conformité en droit de cette exigence liée au statut vaccinal.

 

  • Fait important à noter : la décision ne soulève pas directement la question du droit d’exiger la vaccination en tenant compte d’autres droits fondamentaux prévus à la Charte, dont ceux à l’intégrité et à la liberté de la personne. En effet, bien que la condition du passeport vaccinal implique inévitablement la prise d’un vaccin, et donc une atteinte à l’intégrité physique et à la liberté d’une personne, le syndicat n’a pas invoqué spécifiquement ces types d’atteintes. L’arbitre a donc choisi de ne pas trancher cette question.

 

Les questions abordées par l’arbitre sont regroupées en deux catégories :

(1) la conformité en droit de la cueillette obligatoire, par les employeurs, du renseignement relatif au statut vaccinal auprès de leurs salariés, en totalité ou en partie, en raison des exigences en ce sens posées par certains de leurs clients ;

(2) la mise en application de la convention collective à l’égard des personnes salariées qui ne pourront attester de leur statut vaccinal en raison de leur refus d’être adéquatement vaccinées.

L’argumentation de la partie syndicale se fonde principalement sur le fait que les employeurs ne peuvent recueillir les informations relatives au statut vaccinal de tous leurs salariés, car ceci contreviendrait au droit fondamental au respect de leur vie privée garanti à l’article 5 de la Charte des droits et libertés de la personne.

Les employeurs, de leur côté, soutiennent que la preuve du statut vaccinal, devenue une exigence normale du travail à accomplir, s’appuie sur une série d’obligations imposées, entre autres, aux employeurs et aux travailleurs en vertu de la Loi sur la santé et la sécurité du travail. Les employeurs invoquent leurs obligations en matière de protection de la santé, de la sécurité et de l’intégrité physique de leurs salariés.

ÉLÉMENTS CLÉS À RETENIR

  • Au sujet de la responsabilité de l’employeur confronté à une exigence vaccinale émanant d’un client, l’arbitre explique : « En somme, sans en être les auteurs, sans en être la partie qui énonce initialement l’exigence de la preuve vaccinale, les employeurs, sur le plan juridique, partagent néanmoins celle-ci à l’égard de leurs personnes salariées et, en cas de contestation, ne peuvent invoquer qu’elle n’émane pas d’eux et qu’ils ne peuvent la justifier au sens de la Charte. » (note de bas de page, para 10)
  • Au terme de son analyse, l’arbitre conclut que l’exigence de fournir une attestation vaccinale porte atteinte au droit au respect de la vie privée prévu à l’article 5 de la Charte québécoise.
  • À la lumière du premier alinéa de l’article 9.1 de la Charte, l’arbitre estime cependant que cette condition est justifiée au regard de « l’ordre public et du bien-être général des citoyens du Québec. »
  • En procédant à une mise en balance des droits respectifs des personnes concernées, l’arbitre conclut que les objectifs mis de l’avant par les clients, et endossés par les employeurs, se fondent à ceux promus par la Charte (arts. 1 et 46), par le Code civil du Québec (art. 2087) et par la Loi sur la santé et la sécurité du travail.
  • La preuve de vaccination doit être considérée comme une « exigence normale du travail à accomplir » pour les salariés affectés aux clients (contrats) où elle est formulée.
  • Les employeurs pourront donc recueillir, avec un cadre limité, les renseignements relatifs au statut vaccinal des salariés qui sont affectés aux édifices des clients qui formulent cette exigence.
  • Au sujet des employés visés par l’exigence de fournir une preuve vaccinale, Me Nadeau explique : « Les personnes salariées concernées par la demande de preuve vaccinale doivent donc se limiter à celles qui sont affectées ou qui se font offrir d’être affectées à un édifice pour lequel un client formule cette exigence, ou à l’égard de salariés effectuant des remplacements dans l’un de ces édifices. » (note de bas de page, para 87)
  • L’arbitre est d’avis que la collecte de renseignements devrait être faite par un représentant des ressources humaines plutôt que par les supérieurs immédiats ou hiérarchiques. La divulgation doit demeurer à l’intérieur d’un cercle très restreint de personnes habituées à travailler avec des informations confidentielles.
  • Le statut « Adéquatement vacciné », identifiable par le balayage du code QR de l’application Vaxicode ou la version papier de ce document, constitue le renseignement adéquat et suffisant aux yeux de l’arbitre pour répondre à l’obligation imposée par les clients.
  • Les informations relatives au nombre de doses reçues et aux dates de celles-ci ne devraient pas, sauf en cas d’impossibilité de fournir le passeport vaccinal ou les documents officiels attestant d’une vaccination adéquate, être exigées. Il en est de même quant à une demande de signature d’une déclaration solennelle attestant, au-delà de ces constats, d’une vaccination adéquate.
  • La preuve de statut vaccinal devrait être conservée par l’employeur.
  • Les employeurs doivent s’abstenir de communiquer à leurs clients une liste nominative du statut vaccinal et autres renseignements connexes des salariés affectés aux clients formulant l’exigence vaccinale. Une confirmation générale des statuts vaccinaux valant pour l’ensemble des salariés affectés aux installations du client visé est suffisante.

Enfin, soulignons que cette décision revêt un grand intérêt pour les employeurs de différents secteurs d’affaires, qui pourraient voir leurs propres employés soumis à une exigence de preuve vaccinale obligatoire par certains clients.

 

Référence de la décision : Union des employés et employées de service, section locale 800 et Les Services Ménagers Roy Ltée., Signature, Service D’entretien, GDI Services (Québec) secGSF Canada Inc., Conciergerie Speico Inc., 2021 QCTA 570

 

[Le présent article n’est publié qu’à titre informatif et ne constitue pas un avis juridique. Il est important de se rappeler que chaque cas est un cas d’espèce qui mérite une analyse particulière. C’est pourquoi nous vous invitons à communiquer avec nos avocats en droit du travail, Me Annie Francescon et Me Julien Desoer, afin de discuter plus amplement du sujet.]

 

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