Article rédigé par : Me Julien Desoer et Me Annie Francescon

 

Les derniers mois de 2021 ont donné lieu à deux décisions particulièrement intéressantes en ce qui concerne la dimension du lieu de travail dans un contexte de télétravail.

Dans la première affaire du Tribunal administratif du travail, le syndicat Unifor, section locale 177, reprochait à Groupe CRH Canada inc., l’Employeur, d’utiliser les services de salariés qu’il employait dans l’établissement où le lock-out avait été déclaré pour remplir les fonctions de salariés faisant partie des unités de négociation en lock-out, en l’occurrence celles de bureau et d’usine, contrevenant ainsi à l’article 109.1 g) du Code du travail[1], mieux connue comme étant la disposition anti-briseurs de grève.

Parmi les questions en litige, le juge administratif Pierre-Étienne Morand devait déterminer si l’Employeur contrevenait à l’article 109.1 g) du Code en utilisant notamment les services d’une employée ne faisant pas partie de l’unité de négociations en lock-out et étant en télétravail, pour remplir précisément les fonctions de salariés faisant partie de l’unité de négociation en lock-out.

Le juge administratif soulignait ce qui suit :

  • [143]   Si avant 2020, le phénomène du télétravail était existant, la pandémie de la COVID19 en a concrétisé le déploiement à très grande échelle. L’état d’urgence sanitaire a été déclaré par le gouvernement conformément à l’article 118 de la Loi sur la santé publique[30], ce qui a eu pour effet de l’imposer à un moment donné et d’en faire une réalité quotidienne pour un nombre très important de travailleurs.
    […]
  • [146]   La notion d’« établissement » ne saurait être imperméable à ce phénomène omniprésent, d’où l’importance et la nécessité d’en adopter une interprétation contextuelle et dynamique.

Le juge administratif concluait ainsi que « dans la mesure où l’“établissement” de l’Employeur se déploie pour permettre l’exécution du travail par des salariés en télétravail à partir de leur domicile et sous l’autorité de l’Employeur, au même titre que s’ils s’étaient trouvés à l’usine de Joliette, il convient de retenir que ces salariés exécutent leur travail dans l’“établissement”. »

Cette décision consacre ainsi une interprétation de l’établissement de l’employeur adaptée à la réalité moderne du télétravail.

Dans une deuxième décision du Tribunal administratif du travail, soit l’affaire Air Canada et Gentile-Patti, le juge administratif Philippe Bouvier devait déterminer si la chute d’une travailleuse dans l’escalier de sa maison alors qu’elle était en télétravail et qu’elle descendait les marches pour aller dîner constituait un accident du travail, soit un événement imprévu et soudain survenu à l’occasion du travail.

Le juge administratif Philippe Bouvier donnait raison à la travailleuse et concluait que sa chute constituait un événement imprévu et soudain survenu à l’occasion du travail.

Au soutien de son raisonnement, le juge administratif soulignait ce qui suit :

  • [14]      Certes, lorsqu’un travailleur exerce son emploi à domicile, en mode télétravail, le passage de la sphère professionnelle à la sphère personnelle et vice-versa peut être plus fréquent au cours d’un quart de travail, comme le souligne la procureure d’Air Canada. Néanmoins, le travailleur qui exerce son emploi en mode télétravail, à son domicile, doit bénéficier de la même protection de la Loi au chapitre de la notion d’à l’occasion du travail que le travailleur qui exerce son travail dans l’établissement de l’employeur. De fait, la Loi n’apporte aucune distinction, condition ou exigence sur le lieu où survient l’événement imprévu ou soudain pour se voir accorder les bénéfices de la Loi, sauf pour sa portée territoriale en vertu des articles 7 à 8.1 de la Loi.
    […]
  • [18]      D’une part, la raison pour laquelle, en ce 25 septembre 2020, madame Gentile-Patti est à son domicile entre 6 h 00 et 13 h 00, c’est parce qu’elle doit remplir ses obligations professionnelles auprès de son employeur Air Canada. D’autre part, dans le cadre de son horaire précis et déterminé par l’employeur, selon les relevés déposés en preuve, madame Gentile-Patti doit se brancher au réseau de l’employeur. À l’intérieur de cet horaire, Air Canada lui permet de prendre des pauses et une période de temps pour dîner. Ces pauses font donc partie de l’organisation du travail déterminé par l’employeur. De fait, sans l’imposition d’un horaire de travail, l’existence de pause santé ou encore de pause pour le dîner ne relèverait pas de l’organisation, voire de la connexité avec le travail. De plus, il y a proximité temporelle, voire concomitance entre la déconnexion avec l’employeur et la chute.

Cette décision s’inscrit logiquement dans une jurisprudence favorisant une interprétation large de la notion d’accident du travail survenu « à l’occasion du travail », l’étendant ainsi à des situations où un travailleur en télétravail serait victime d’un accident du travail.

Devant les importants changements de paradigmes concernant la manière dont la prestation de travail d’un employé s’effectue, nous vous invitons à communiquer avec nos spécialistes du droit du travail, Me Annie Francescon et Me Julien Desoer.

[Le présent article n’est publié qu’à titre informatif et ne constitue pas un avis juridique. Il est important de se rappeler que chaque cas est un cas d’espèce qui mérite une analyse particulière. C’est pourquoi nous vous invitons à communiquer avec nos avocats en droit du travail, Me Annie Francescon et Me Julien Desoer, afin de discuter plus amplement du sujet.]